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Insights

L’exequatur des jugements étrangers - Lacaze J.J v Lacaze D

L’article 8 de l’acte de capitulation de 1810 stipulait que les habitants conserveront « leurs religion, lois et coutumes ». Ainsi, le système juridique mauricien est aujourd’hui un mélange de droit civil d’inspiration française et de common law d’inspiration anglaise. Le système de droit mauricien inspiré du droit français comprend notamment le code civil, le code de commerce et le code pénal qui sont en place depuis 1808.

L’exequatur est une procédure par laquelle le bénéficiaire d’un jugement étranger (par exemple, un jugement de divorce prononcé en France) entend lui voir conférer force exécutoire sur un autre territoire étranger (il souhaite que ce jugement de divorce soit exécutoire à Maurice).

La législation concernant l’exequatur des jugements étrangers à Maurice est un parfait exemple de la nature hybride du système juridique mauricien. En effet, la législation mauricienne concernant l’exécution des jugements étrangers est composée à la fois de la loi et de la jurisprudence, autant d’origine française qu’anglaise.

Les trois principales législations qui réglementent la procédure d’exequatur d’un jugement étranger sont :

  1. Le code de procédure civile;
  2. Le Reciprocal Enforcement of Judgments Act 1923; et
  3. Le Foreign Judgments (Reciprocal Enforcement) Act 1961.

Puisque le Reciprocal Enforcement of Judgments Act de 1923 et le Foreign Judgments (Reciprocal Enforcement) Act de 1961 ont des conditions d’application très strictes, la majorité des jugements étrangers dont l’exécution est recherchée à Maurice se fait sous l’article 546 du code de procédure civile qui dispose que :

« Les jugements rendus par les tribunaux étrangers, et les actes reçus par les officiers étrangers, ne seront susceptibles d’exécution en France, que de la manière et dans les cas prévus par les (anciens) articles 2123 et 2128 du Code Civil ».

D’une part, cet article, qui n’a jamais été modifié depuis l’entrée en vigueur du code civil à Maurice, doit se lire avec l’expression « susceptibles d’exécution à l’île Maurice » et non avec l’expression « susceptibles d’exécution en France » D’autre part, les articles 2123 et 2128 du code civil mauricien ne concernent plus l’exécution de jugements étrangers.

Récemment, la Cour suprême a rendu un jugement qui va faire jurisprudence, en accordant l'exequatur d'un divorce qui n'a pas été homologué par un tribunal, mais prononcé comme un contrat privé en France, notamment par une “Convention de Divorce par Consentement Mutuel par Acte sous signature privée contresigné par Avocats”. La Cour suprême a prononcé ce jugement historique dans l’affaire de Lacaze J.J v Lacaze D [2022 SCJ 52], clarifiant ainsi que même s'il y a un conflit concernant la procédure adoptée selon les lois nationales dans des différentes juridictions, un acte reçu par un officier étranger devrait avoir une force exécutoire à Maurice tant qu'il n'est pas contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs.

En France, les articles 229-1 et suivants du code civil Français prévoient une nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel. En vertu de ces dispositions, le divorce par consentement mutuel est un contrat privé entre les parties. Il fixe leur accord après la dissolution du mariage sur des questions telles que la pension alimentaire, l’autorité parentale, la garde des enfants, le droit de visite ou d’hébergement. Ces questions ne sont soumises à aucune intervention d’une quelconque autorité. Le divorce est donc traité administrativement sans aucune intervention ou contrôle judiciaire.

La convention est rédigée par les avocats des parties et leur est envoyée par courrier avec avis de réception. La convention ne doit, à peine de nullité, être signée qu’après un délai de réflexion de 15 jours. Après ce délai et la signature de la convention par les parties, la convention est déposée chez un notaire qui doit vérifier si toutes les formalités de l’article 229-1 ont été accomplies et si le délai de réflexion obligatoire de 15 jours a été respecté.

Si l’accord est régulier et remplit toutes les conditions prescrites par l’article 229-1, « ce dépôt donne ses effets à la convention en lui conférant date certaine et force exécutoire ». Ainsi, la convention de divorce devient exécutoire le jour où elle acquiert date certaine et prend effet à compter de cette date. Ainsi, le divorce par consentement mutuel par les parties en France est un divorce purement « administratif » par opposition à un divorce « judiciaire ».

A Maurice, le divorce par consentement mutuel a été introduit avec l’entrée en vigueur le 14 mai 2011 de l'article 238-3 du code civil mauricien. Les parties doivent conclure une convention réglant les conséquences du divorce et qui doit être présentée devant un juge qui va approuver et homologuer la convention et prononcer le divorce. Le juge peut aussi supprimer ou modifier toute clause de la convention ou même refuser d’homologuer la convention et de prononcer le divorce s'il estime que la convention ne protège pas suffisamment les intérêts des enfants ou de l'un des conjoints.

Ainsi, la différence fondamentale entre l’article 238-3 à Maurice et l’article 229-1 en France est qu’à Maurice, le divorce par consentement mutuel est un acte judiciaire alors qu’en France c’est un acte administratif.  De ce fait, dans l’affaire de Lacaze J.J v Lacaze D, en première instance, le juge de la cour suprême avait refusé d’exécuter à Maurice le divorce par consentement mutuel conclu en France car ce n’était pas un divorce prononcé par un tribunal.

Toutefois, en appel, la chef juge a considéré les questions suivantes :

  • La Convention de Divorce par Consentement Mutuel par Acte sous signature privée contresigné par Avocats (« Convention de divorce ») certifié par un notaire conformément à la législation française est-elle un acte reçu par un officier étranger au sens de l’article 546 du code de procédure civile?
  • Est-ce que cet acte reçu par un officier étranger est-il susceptible de la force exécutoire au sens de l’article 546 du code de procédure civile?
  • Cette Convention de divorce remplit-elle effectivement toutes les conditions requises pour la délivrance d’une ordonnance d’exequatur malgré les différences relatives au divorce par consentement mutuel entre l’article 229-1 du code civil français et l’article 238-3 du code civil mauricien ?

En application des principes de droit énoncés par la cour de cassation en France dans son grand arrêt de principe, Munzer c. dame Munzer (1re Ch. Civ.) 7 janvier 1964, la Cour suprême de Maurice a jugé que :

  1. La Convention de divorce qui a été certifiée par un notaire conformément à la législation française est un « acte reçu par un officier étranger » qui peut avoir force exécutoire à Maurice conformément à l’article 546 du code de procédure civile mauricien.
  2. Le notaire auprès duquel la Convention de divorce a été déposée était, en vertu de l’article 229-1 du code civil français, légalement autorisé à vérifier et à confirmer si les formalités prévues à l’article 229-3 ainsi que le délai de réflexion obligatoire de 15 jours prévu par l’article 229-4, ont été dûment accomplis.
  3. Les droits de la défense ont été respectés car le défendeur a eu connaissance de la Convention de divorce à laquelle il a donné son consentement en toute connaissance de cause et alors qu’il était tout le temps assisté par un avocat.
  4. La notion de l’ordre public intervient toutefois avec une intensité moindre que s’il s’agissait de trancher directement le litige en France. Il s’agit de la conception dite de l’effet atténué de l’ordre public en ce qui concerne l’exécution d’un jugement étranger. Ainsi, compte tenu du seuil plus bas qui serait imposé en raison de « l’effet atténué de l’ordre public » dans les cas d’exequatur, toute incompatibilité avec le droit interne qui pourrait survenir avec l’exécution d’un divorce étranger ne constituerait pas, en soi, nécessairement une violation de l’ordre public international.
  5. De ce fait, la différence entre les dispositions de la loi française et de la loi mauricienne en ce qui concerne le divorce par consentement mutuel ne constituerait pas en soi un obstacle à l’exécution d’un divorce par consentement mutuel français à Maurice.
  6. En l’espèce, il n’y a ni la moindre preuve ni la moindre suggestion qu’il y ait eu une quelconque fraude en ce qui concerne la décision de procéder à un divorce par consentement mutuel conformément à la loi française et encore moins qu’il y ait eu une quelconque fraude dans cette affaire pour obtenir le divorce en France.

La chef juge a donc annulé la décision du juge de première instance qui avait refusé la demande d’exequatur et lui a substitué un jugement déclarant exécutoire à Maurice la Convention de divorce conclue entre les parties et qui est exécutoire en France depuis le 19 septembre 2019.

Ainsi, la « Convention de Divorce par Consentement Mutuel par Acte sous signature privée contresigné par Avocats » certifiée par un notaire conformément à la législation française est un « acte reçu par un officier étranger » et qui peut avoir force exécutoire à Maurice conformément à l’article 546 du Code de Procédure Civile mauricien, tant que l’acte n’est pas contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

Cette décision qui est une première à l’ile Maurice est une preuve que notre système de droit devient de plus en plus dynamique et s’adapte rapidement à l’évolution du droit international et aux mœurs. Il serait intéressant de voir l’approche de nos juges en ce qui concerne l’exéquatur des divorces administratifs prononcés dans les juridictions autre que le France.

This article was published in BIZweek, L' Express and Business magazine.

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