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Insights

L’intégration du principe de l’imprévision dans le droit mauricien : une réforme nécessaire pour un équilibre contractuel

By Nicolas Richard and Pritesh Ramsaha

La négociation récente de contrats à long terme (plus de 10 ans) pour certains de nos clients a remis en lumière, la question de l’imprévision en droit des contrats. Signer un contrat sans clause d'imprévision, c'est comme partir en voyage sans parapluie : on espère qu'il ne pleuvra pas, mais on sait bien que ça finira par arriver.

 Le droit des obligations repose sur le respect du principe pacta sunt servanda, selon lequel les contrats doivent être strictement exécutés. En ces temps caractérisés par des crises successives : conflit armé, crise sanitaire ou encore crise climatique, l’équilibre contractuel qui existait au moment de la signature du contrat peut être bouleversé par ces circonstances exceptionnelles rendant l’exécution du contrat extrêmement difficile pour l’une des parties. Cela est d’autant plus probable pour des contrats qui s’échelonnent sur de longues années.  Dans ces situations, le principe de l’imprévision, bien établi dans le droit français, offre une solution en permettant une adaptation ou une résiliation des obligations contractuelles. En revanche, le droit mauricien n’a pas encore adopté ce principe. Nous sommes d’avis que l’introduction de l’imprévision dans le droit mauricien est plus que souhaitable pour répondre aux besoins économiques modernes, garantir la justice contractuelle et aligner le système juridique mauricien sur les standards internationaux.

Le concept de l’imprévision : fondement et application en droit français

Le principe de l’imprévision a été introduit dans le Code civil français par la réforme de 2016. L’article 1195 du Code civil prévoit :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue d’exécuter ses obligations pendant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Cette disposition a permis de combler un vide juridique longtemps critiqué. Avant cette réforme, les tribunaux français appliquaient strictement le principe de force obligatoire des contrats, comme illustré dans le célèbre arrêt Canal de Craponne (Cass. Civ., 6 mars 1876) où la Cour de cassation avait refusé d’adapter les obligations contractuelles malgré des circonstances exceptionnelles. Dans cette affaire, un contrat du XVIe siècle stipulait que les propriétaires fonciers paieraient des frais fixes pour l’entretien d’un canal. Au XIXe siècle, soit près de 300 ans après, ces frais étaient insuffisants en raison de l'inflation et des changements économiques. Les exploitants ont demandé une révision, qui a été refusée. 

La réforme de 2016 marque un tournant, reconnaissant que l’équilibre contractuel peut être affecté par des événements imprévus et qu’un mécanisme de correction est nécessaire. L’application de l’article 1195 a été mise en lumière lors de la crise de la COVID-19 particulièrement dans le secteur du tourisme et de l’immobilier où des prestataires de services et des locataires ont cherché à renégocier les termes, soutenant que la pandémie avait créé un déséquilibre imprévu dans les obligations contractuelles.

Le cadre mauricien actuel : lacunes et rigidité

Le droit mauricien, largement inspiré du Code civil français napoléonien, reste fidèle à la version antérieure à 2016. L’article 1134 du Code civil mauricien (similaire à l’ancien article 1134 du Code civil français) énonce :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. »

Bien que cet article souligne l’importance de la bonne foi, il ne prévoit aucun mécanisme pour traiter les déséquilibres contractuels résultant de circonstances imprévues. Les tribunaux mauriciens, comme leurs homologues français avant 2016, adoptent une approche stricte. Dans l’affaire Pioneer Property Holdings Company Limited v. Runjit Ganowry 2022 INT 306, la Cour Intermédiaire de Maurice a confirmé l’importance de respecter les termes du contrat, même lorsque l’exécution devient plus difficile pour l’une des parties.  La Cour, citant De Senneville G. R. M. v Cie Sucrière de Saint Antoine Ltée & Anor 2008 SCJ 215, a réaffirmé qu’elle ne peut “refaire le contrat sous couvert d’interprétation”.

Cette rigidité pose problème dans un contexte économique globalisé où les imprévus sont fréquents dans un monde incertain et volatile. L’absence d’un mécanisme de révision pour imprévision force les parties à respecter des engagements devenus inéquitables, ce qui peut entraîner des faillites ou une rupture de la confiance dans les relations commerciales.

Arguments en faveur de l’intégration de l’imprévision dans le droit mauricien

Une meilleure justice contractuelle

Le principe de l’imprévision permet de préserver l’équilibre contractuel en adaptant les obligations des parties à des circonstances exceptionnelles. En l’absence d’un tel mécanisme, la partie lésée est contrainte de supporter seul les conséquences d’événements qu’il ne pouvait prévoir ni contrôler. Cette situation peut être injuste, notamment dans des contrats à long terme, comme les baux commerciaux ou les concessions.

En intégrant l’imprévision, le droit mauricien garantirait une protection accrue aux parties contractantes, en particulier aux petites et moyennes entreprises, souvent les plus vulnérables face aux crises.

Une réponse aux défis économiques modernes

Les crises récentes, comme la pandémie de COVID-19, ont démontré l’importance d’un cadre juridique adaptable. À Maurice, de nombreux secteurs, tels que le tourisme ou le commerce international, ont été gravement affectés par des restrictions imprévues. L’absence d’un cadre légal pour l’imprévision a exacerbé les tensions contractuelles, entraînant une multiplication des litiges et des ruptures de contrats.

En introduisant l’imprévision, Maurice disposerait d’un outil juridique moderne pour traiter efficacement ces situations, réduisant ainsi le nombre de contentieux et favorisant la stabilité économique.

Un alignement sur les standards internationaux

Plusieurs juridictions modernes reconnaissent désormais le principe de l’imprévision. Outre la France, des systèmes juridiques comme ceux de l’Italie, de l’Allemagne et du Québec intègrent des mécanismes similaires pour adapter les contrats en cas de déséquilibre. En restant à l’écart de cette tendance, le droit mauricien risque de paraître archaïque et moins attractif pour les investisseurs étrangers.

L’introduction du principe de l’imprévision dans le droit mauricien est une réforme nécessaire. En garantissant un équilibre contractuel face à des circonstances exceptionnelles, l’imprévision offrirait une meilleure justice sociale, une réponse adaptée aux réalités économiques modernes et un alignement du droit mauricien sur les standards internationaux. Inspirée de l’exemple français, cette réforme renforcerait la résilience et l’attractivité du cadre juridique mauricien, tout en répondant aux attentes des citoyens et des acteurs économiques. Dans un monde en constante évolution, le droit doit s’adapter pour rester un outil de justice et de progrès.

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